La fin des grands projets touristiques ?
Est-elle inexorable ?
Aujourd’hui en France, la question de savoir si l’on peut encore bâtir des concepts touristiques neufs, en green field, se pose ? Alors que la grande majorité des projets sont attaqués, remis en cause, balayés, les législations visant à limiter l’urbanisation induisent une véritable remise en cause de la capacité à construire en site « vierge ». L’heure est donc à la réhabilitation, densification, rénovation. Le tourisme ne pourra t’il plus se développer qu’à partir de friches, dans un pays où une large part des espaces ont déjà été valorisés ? C’est en tout cas une période nouvelle de l’aménagement touristique qui s’ouvre.
État des lieux
Depuis quelques années la plupart des grands projets touristiques ont été empêchés et finalement annulés : Center Parcs de Roybon dans l’Isère, Europa City, projet certainement devenu anachronique, mais sacrifié pour des raisons politiques malgré 10 ans d’études, des accords de toutes les institutions parties prenantes, et une promesse de 10 000 emplois dans une zone en déficit chronique. Sans compter tous les projets golfiques encore bloqués ou autres parcs de loisirs en panne.
Faire émerger un projet neuf d’envergure en France est devenu tellement complexe, aléatoire et coûteux que seules quelques structures françaises bien établies (grands opérateurs, gros groupes du BTP…) peuvent prendre des risques. Pas un seul opérateur étranger n’oserait affronter ce parcours d’obstacles. Des procédures complexes, longues, parfois contradictoires rendent la démarche d’autant plus complexe que le risque d’une annulation ferme pour raison de forme est courant. Les recours sont devenus la règle, avec souvent aux manettes un combat idéologique, dont les personnels administratifs sont parfois les protagonistes.
Dans ces conditions, l’aménagement touristique des années 1960 à 1980 a été massif, rapide, souvent violent, rarement respectueux des espaces, des paysages, des environnements et des hommes. La plupart des sites de qualité ont été occupés, certains espaces totalement urbanisés, parfois vandalisés. Le mitage territorial et la main mise administrative ont renforcé un urbanisme d’une banalité généralisée. Les dernières législations visent
d’ailleurs à limiter l’artificialisation des sols et se veulent un rempart bien légitime aux constructions non maîtrisées et à l’étalement urbain.
La plupart des acteurs ont intégré ces nouvelles données et ne s’aventurent plus que très rarement en green field. La règle devient la réhabilitation des bâtiments, des friches, des zones aménagées naguère. Cela tombe bien, le potentiel est considérable puisque tout ou presque a été construit il y a plus de 30 ans et se trouve souvent dans un état d’obsolescence technique, conceptuel et environnemental. Autre constat : en montagne, les concessions, limitées aux remontées mécaniques, tournent sur elles-mêmes au détriment d’une amélioration globale du produit, des mobilités, de l’expérience du client.
Enfin, et surtout, il convient de noter que ces phénomènes surviennent dans un contexte où les préoccupations environnementales, paysagères, écologiques sont devenues centrales dans des approches qui se veulent durables et inclusives.
Vision 2040
Cela dit, dans 20 ans, à quoi pourra bien ressembler la France ? Ressemblera-t-elle à ce grand désert dénoncé depuis les années soixante, avec des régions entières faiblement peuplées, et largement appelées à le rester ?
Certes, les territoires ruraux investis depuis les années de crise par des néo ruraux désireux de se mettre à l’abri de nouvelles hostilités climatiques et sanitaires et de réinventer leur mode de vie, afficheront une nouvelle dynamique. A la tête de petits projets touristiques (locations de chambres d’hôtes, de gîtes, petite hôtellerie, centres de bien-être, activités diverses), les nouveaux venus contribueront bel et bien à la domestication et l’attractivité de territoires oubliés, sans pour autant en entamer le charme. Il faut dire que, protégés par les lois votées en 2020 défendant le patrimoine sonore et sensoriel des campagnes, ils n’ont plus la possibilité de jouer les citadins aux oreilles et au nez fragiles.
Français et Européens, ces nouveaux ruraux se montreront probablement plus tenaces dans leurs nouvelles installations que leurs aînés des années soixante et surtout pourraient bien avoir fait des espaces campagnards une sorte de laboratoire où s’inventent les nouveaux concepts touristiques. Évidemment, œuvrant dans le sens d’un tourisme durable, leurs initiatives seront assez bien acceptées par une population autochtone désireuse d’imiter leur exemple. Au contraire dans les zones denses ou les stations touristiques, la règle absolue étant devenue la réhabilitation/densification, les innovations seront plus rares. Alors que le nouveau monde, notamment l’Asie et l’Afrique inaugurent des modèles et des concepts de plus en plus originaux, adaptés à la demande de nouvelles générations connectées, en quête d’un tourisme sur mesure, la France condamnée à une politique de sparadrap, offrira un tourisme classique, au charme sans doute un brin désuet. Un vieux tourisme en somme, sur un vieux continent !
Débats et controverses
Les thèmes de débat sont nombreux. Est-il normal qu’il soit plus facile de faire sortir de terre un hangar ou un entrepôt alors que les projets touristiques sont voués aux gémonies par les populations et institutions (y compris
par les nouveaux arrivants) ?
Par ailleurs, est-il tenable de favoriser une économie de rente pour des équipements construits avant les réformes de protection de 1986 sur le littoral et la montagne, alors que ceux-ci ne sont plus compétitifs, et de fait ne subissent pas une concurrence affirmée et salutaire ?
Le « small is beautiful » et le diffus vont-ils se poser comme les seuls projets valables et porteurs d’avenir dans un contexte dominé par les exigences environnementales ? Et cela, alors qu’une ville station, dense, ouverte à l’année, avec ou à côté d’espaces naturels protégés, est d’un point de vue économique, urbanistique, environnemental bien plus performante qu’un territoire mité, à l’urbanisme diffus, saisonnier et porté à bout de bras par les collectivités ?
Shaping tomorrow’s tourism
Devant la somme d’équipements touristiques (et stations) obsolètes ou en mauvais état, il conviendra de réhabiliter pour améliorer l’hospitalité et l’ambiance des lieux, mais il faudra aussi être vertueux et observer trois orientations se révélant indispensables :
Repenser l’urbanisme : il convient de repenser l’urbanisme, les densités, les mobilités, les offres produits et les mixités d’activité (lieux de vacances, lieux à vivre, à travailler, pour des évènements…)
Repenser les modèles économiques : le modèle urbain français ayant été largement pensé par et pour le secteur public, avec des logiques de silos hermétiques par activité ou fonction, il faut bel et bien repenser les mécanismes de financement des projets territoriaux et mobiliser des aménageurs globaux ayant la capacité d’intervenir sur des pans entiers de cette économie, dans une vision clientèlo-centrée.
Repenser l’innovation : la digitalisation seule ne fera pas l’innovation. Pour s’adapter aux exigences des décennies à venir, il faut aller bien au-delà : repenser les parcours clients, redéfinir les fonctionnalités des lieux, imaginer les nouvelles mixités, les nouveaux usages, rebâtir sain et durable, favoriser l’économie touristique marchande plus que l’immobilier et les niches fiscales… Agir sur l’urbanisme, donc aussi sur les lieux
touristiques, en France est devenu d’une rare complexité technique, légale et administrative, avec des délais sans cesse à rallonge. Faire un (petit) projet suppose de faire évoluer le POS, lui-même dépendant du schéma directeur, après la révision du PADD, mais qui ne sera engagé qu’en fonction d’échéances locales et règles d’urbanisme. Tout un nouveau champ de l’aménagement touristique s’ouvre qui va conduire à repenser les positionnements, l’histoire que l’on raconte aux visiteurs et les concepts. Il faudra aussi être capable de porter ces projets dans la durée, à travers toutes les étapes techniques, économiques, juridiques…. C’est une condition absolue de la différentiation et de l’attractivité qui nécessite des savoir-faire spécifiques et une farouche volonté de façonner le tourisme de demain, souvent en réinventant ce qui existe.
Préserver le tourisme insulaire
Après la massification puis la diversification, irons-nous vers plus de protection des îles ?