• L’instauration des congés payés, ce temps conquis par la vacance sur le travail, a délimité clairement la frontière entre deux univers : travail et temps libre. La séparation des temporalités, mais également des lieux, des climats, des ambiances et de l’état d’esprit a confirmé cette scission. Et si cette bi partition était de moins en moins d’actualité à l’avenir ? Et si l’imaginaire touristique venait également s’inviter dans le monde productif ? Et si le télétravail forcé de 2020 pour plus de 20% des actifs en France avait ouvert une porte sur d’autres façons de travailler et de prendre des vacances ? Une réflexion prospective sur les vacances et le tourisme ne peut de toute évidence faire l’économie d’une analyse sur ce qui se passe dans l’autre monde, celui du travail.

    État des lieux

    Aujourd’hui, deux phénomènes doivent nous alerter. Lesquels ?

    • Le télétravail : il concernait en 2019 un peu plus de 7% de la population active, soit 1,8 million de personnes. Ce chiffre est monté à 5,1 millions, soit près de 20% des actifs courant 2020. Selon un sondage d’Opinionway, la majorité des Français en a une opinion plutôt favorable : 54 % estiment qu’il permet de partir plus fréquemment en vacances et de rallonger les week-ends, 72 % qu’il peut offrir un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle, à condition de pouvoir travailler hors de son domicile et de changer d’environnement de travail au gré de ses envies (36 %).
      Les espaces de pratique du télétravail tendent à se diversifier, en empiétant sur les lieux de vacances. A commencer par la résidence secondaire (comme bon nombre des 11% de ménages français qui en disposent et en ont fait l’expérience au printemps 2020). En effet, un tiers des cadres interrogés envisagent de télétravailler depuis un lieu habituellement réservé aux vacances. Et 58 % y voient une opportunité de se reconnecter à la nature. Espaces privilégiés : la campagne (44 %) et la mer (29 %), avec un besoin de grands espaces plus marqué depuis la sortie du confinement. D’ores et déjà, le volume de télétravail (370 millions de journées) représente, hors contexte de confinement, plus de la moitié des journées touristiques des actifs occupés (650 millions de journées touristiques) et un tiers de celles de l’ensemble des Français. Cela donne une idée de l’impact potentiel sur les destinations touristiques si une part croissante de ce télétravail s’exerce hors du domicile.
    • L’essor du nomadisme digital : aux antipodes du travailleur posté (au bureau ou à la maison) se trouve le nomade digital, soit une personne qui travaille à partir d’un ordinateur, connecté à sa communauté de travail, potentiellement n’importe où : pied à terre, colocation, domicile de parents et amis, ou chambre d’hôtel. Son lieu de travail peut être le train, la terrasse d’un café ou un espace de coworking.
      Ces « nomades digitaux » ont de fait aboli toute frontière entre temps et espaces de travail et tourisme, mais ne sont pas pour autant des workaddicts : ils recherchent un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Le nomadisme leur ouvre un monde d’opportunités professionnelles tout en leur permettant de profiter des charmes de l’ailleurs.
      Ce phénomène est devenu vraiment populaire depuis les années 2010, grâce à la prolifération des outils cloud, qui permettent à la fois à une entreprise de gérer ses flux d’information à distance et de développer des projets collaboratifs avec une équipe répartie sur plusieurs fuseaux horaires.
      Avec une logistique facilitée par des plateforme d’offres pour freelance et des applications comme Uber ou Airbnb.
      Aux États-Unis, ils sont estimés par MBO Partners à 10 millions de personnes en 2020 (dont 1,9 million vivent dans un van !) avec une hausse de 49% par rapport à 2019. Pourraient s’y ajouter 19 millions de personnes qui projettent de le devenir dans les 2-3 ans à venir et 64 millions qui l’envisagent seulement.

    Vision 2040

    En 2040, le salariat devrait rester le modèle dominant pour la majorité des actifs, à tous les niveaux de la chaîne de travail. Mais la notion de bureau sera devenue plus volatile, d’une part parce que les entreprises seront de plus de soucieuses d’économiser de la surface d’open space, mais surtout parce que l’organisation du travail se fera autour de plateformes numériques auxquelles les collaborateurs viendront se connecter. Cette organisation impactera le travail d’une large part des actifs, mais davantage dans les temps du quotidien (journée, semaine) que dans les temps de vacances.

    Les impacts sur les espaces de tourisme sont plus à attendre du côté du nomadisme digital, dont les rangs auront grossi du fait du développement de l’auto-entreprenariat et de l’évolution des politiques de ressources humaines soucieuses d’intégrer des « talents » susceptibles de travailler selon différents statuts, sans contrainte d’horaires ou de localisation de poste de travail, condition sine qua none pour stimuler leur créativité et leur productivité.
    Cet « idéal » de vie se heurtera naturellement pour beaucoup au principe de réalité. Mais il n’en déterminera pas moins des comportements types, propices à une plus grande porosité entre vie professionnelle et vie personnelle, donc les vacances. Dans un premiers temps avec les millennials, solo ou dink (double income no kid), puis par extension avec les familles (on a même prévu d’ouvrir crèches et écoles pour les enfants de ces travailleurs nomades) et pour les empty nesters libérés des contraintes familiales.
    Donc une diffusion par capillarité qui devrait concerner des populations actives de plus en plus diversifiées, mais avec des intensités et des modalités de pratiques très variables.

    Débats et controverses

    • Alors que deux visions de la relation vacances/ travail s’affrontent, ne va-t-on pas assister à une accentuation de la fracture entre travailleurs « postés » (au bureau ou au domicile) et « CSP+ mobiles » en fonction de leurs envies ?
    • La cohabitation entre touristes et touristes télétravailleurs et populations locales peut être source de conflits potentiels. A moins que ces nouveaux arrivants fassent l’effort de s’inscrire dans l’environnement local (approvisionnement, utilisation des équipements sportifs locaux, développement de projets avec les locaux)
    • L’hyper consommation numérique générant des émissions augmentées de CO2 est-elle compatible avec des politiques durables ?
    • Comment éviter que les grands acteurs du numérique ne s’accaparent la valeur ajoutée liée à ces nouvelles pratiques ?

    Shaping tomorrow’s tourism

    Le workation représente un formidable enjeu de dessaisonalisation de la fréquentation touristique, aussi bien pour les exploitants d’hébergements que pour les destinations, puisque cette pratique se concentre justement
    sur les périodes jusqu’à présent les plus creuses.
    Cela peut passer par la création d’offres dédiées à ce créneau, mais aussi par l’adaptation des équipements et hébergements existants : une connectivité irréprochable bien-sûr, mais aussi surtout la création d’une ambiance hybride, avec des espaces privatifs et collectifs associant possibilités de coworking, mais aussi de restauration et de convivialité.
    Avec la nécessité pour les hébergeurs et les transporteurs de repenser leur tarification et leur yield management en fonction de la période de l’année, de la durée du séjour et de la fidélité du travailleur. Il peut également y avoir des opportunités pour les agences de voyages orientées vers le business qui auront su intégrer ces nouveaux types de déplacements professionnels.

    Préserver le tourisme insulaire

    Après la massification puis la diversification, irons-nous vers plus de protection des îles ?

    Le tourisme du futur ?

    Il faut imaginer un touriste heureux

    Le temps des vacances

    Peut-on le remettre en question ?

    Imaginaires touristiques

    Des imaginaires augmentés